On n'écrit jamais seul
Pour m'accompagner dans le lancement de gildagonfier.com, je me suis entourée d'auteurs choisis pour l'occasion dans ma bibliothèque. La résidence d'écriture que je projette à Istanbul coïncide d'ailleurs avec la mise en ligne de mon site. J'ai pensé donc aux livres que je mettrai dans ma valise pour les lire ou les relire.
« Tout comme la roche froide et apparemment sans vie, j'ai enfoui en moi des souvenirs issus des matériaux qui m'ont moulée », écrit Zora Neale Hurston en ouverture de sa biographie. Cette phrase, je la fais mienne.
Écrire, pour moi, c'est explorer qui je suis, ce qui m'a construite et ce que j'ai à dire.
C'est en écrivant que je forge ma langue.
Je distingue aussi l'écriture pour soi et l'écriture pour les autres – même si, au fond, je n'écris jamais que pour moi. La différence ? Le soin apporté à être intelligible quand les mots s'adressent à autrui. Du moins, c'est ce que je croyais au début. Aujourd'hui, je prends autant de précautions avec les textes que je ne montrerai à personne. J'écris comme en conversation avec les auteurs dont j'aime la compagnie.
D'ailleurs, j'ai longtemps hésité à me situer. Je suis une lectrice avant tout. Ma fille aînée me qualifierait d'« écriveuse » ; la cadette, elle, a toujours raconté, inlassablement. Je me souviens lui avoir dit : « Si tu veux retenir l'attention, il faudra faire plus court. » Aujourd'hui, j'ai un site rien qu'à moi – un espace où raconter aussi longuement que je l'entends.
Faire long pour soi, comme on fouille ; faire court pour les autres, comme on offre. Trouver le juste équilibre.

"Des pas dans la poussière" est un livre pour forger ma langue, comprendre d'où je viens.
"Les aventures de la foufoune", de Léonora Miano, un recueil qui commence par un conte. Je choisis ce livre pour la jubilation de la transgression. De plus j'aime le conte : ce sera d'ailleurs par lui que j'ouvrirai mes ateliers d'écriture.
La prochaine fois, le feu de James Baldwin, pour sa force de vie – et parce qu'il a vécu dix ans à Istanbul. Je veux percer le mystère de sa pièce inachevée, Welcome Table, où se croisent même si je n'ai pas lu le texte les thèmes de l'altérité, l'exotisme et l'hospitalité.
Les Damnés de la terre, pour le centenaire de Fanon. (Baldwin et Fanon sont frères en lutte, à mes yeux.)
Que peut la littérature quand elle ne peut de Patrick Chamoiseau. Je veux guidée par le marqueur de parole, habiter le bord, la limite, là où règne l'indicible qu'il faudra dire malgré tout.
Je vous lance un défi :
Choisissez cinq livres – d'hommes et de femmes – qui vous tiendront compagnie pour les cinq prochains mois. Un choix conscient, délibéré. J'aime jouer avec le hasard, mais ici, l'effort du vouloir, l'intention c'est ce qu'on cherche à muscler. Récemment, un intervenant à la radio disait : « Le contraire du trauma, c'est le choix. » Nous renonçons trop souvent à notre libre arbitre, croyant choisir quand nous nous laissons porter. Laura Vazquez dans son atelier souligne elle aussi l'importance de choisir ce qu'on lit surtout quand on a le projet d'écrire. Elle dit que si on lit ce que tout le monde lit on risque d'écrire comme tout le monde écrit. Je n'y avait jamais réfléchi comme cela mais j'ai toujours su que lire et écrire participait du même mouvement, comme la respiration avec l'inspir et l'expir.
Je n'ai plus peur. Je respire. J'ai choisis avec qui je vais faire le chemin.