Un don de Toni Morrison

"La nuit vient et je vole une chandelle. Je porte une braise dans un bol pour l'allumer. pour voir davantage de toi. Lorsque c'est allumé, je protège la flamme de ma main. je te regarde dormir. Je regarde trop longtemps. Je suis imprudente. La flamme me brûle la paume. Je pense que si tu te réveilles et que tu me vois te regarder, je vais mourir. Je m'enfuis en courant, ne sachant pas alors que tu me vois bien te regarder. Et lorsque enfin nos regards se rencontrent, je ne meurs pas. Pour la première fois je suis en vie." p 49

Magistral. Il n 'y a pas d'autres mots. Une leçon d'écriture.

"Tu n'es qu'une feuille sur son arbre, Florens avait secoué la tête, fermé les yeux, avant de répliquer: non, je suis son arbre." p 76

Une histoire d'amour mais pas seulement.
Le récit commence avec Florens, jeune
esclave. Elle raconte :

"...mais parce que les mères qui allaitent des bébés avides me terrifient. Je sais ce que disent leurs yeux quand elles font leur choix. Comment elles lèvent les yeux pour me regarder durement, en disant quelque chose que je ne peux pas entendre. En disant quelque chose qui est important pour moi, mais sans lâcher la main du petit garçon." p 15

Un don c'est surtout l'histoire des origines de l'Amérique.

Lina :

"Ils viendraient en parlant des langues ressemblant à des aboiements de chien; avec un désir enfantin pour les fourrures des animaux. Ils ne cesseraient de clôturer la terre, de transporter par bateau des arbres entiers vers des pays lointains, de prendre les femmes pour un plaisir rapide, de détruire le sol, de profaner les lieux sacrés et de vénérer un dieu terne et peu imaginatif. Ils laissaient leurs porcs brouter la côte de l'océan, la transformant ainsi en dunes de sables sur lesquelles rien de vert ne pousserait jamais plus. N'ayant aucun lien avec l'âme de la terre, ils tenaient absolument à en acheter le sol, et, comme tous les orphelins, se montraient insatiables. C'était leur destinée que de chiquer le monde et de recracher des horreurs qui détruiraient tous les peuple premiers."

Rebekka.

"Les premières pendaisons auxquelles elle avait assisté en place publique parmi la foule joyeuse des spectateurs. Elle avait probablement deux ans et les visages des morts l'auraient effrayée si la foule ne les avait pas raillés et ne s'en était pas autant amusée. Avec le reste de sa famille et la plupart de leurs voisins, elle assista à une exécution où le supplicié fut traîné sur une claie puis découpé, et, bien qu'elle fût alors trop jeune pour se souvenir des détails, ses cauchemars restèrent pour toujours très pénétrants à cause de toutes ces années durant lesquelles ses parents lui avaient tant de fois raconté et décrit le supplice. Elle ne savait pas ce qu'était un Cinquième Monarchiste, à l'époque comme maintenant, mais il était clair dans sa famille qu'une exécution était une fête aussi passionnante qu'un défilé royal.
Les rixes, les coups de couteau et les enlèvements étaient si courants dans sa ville natale que des avertissements relatifs à un massacre possible dans un monde nouveau et jamais vu ressemblaient à des menaces de mauvais temps. L'année même où elle descendit du bateau, un important conflit entre colons et indigènes se termina à deux cents miles d'où elle se trouvait, avant même qu'elle en ait eu vent. les escarmouches intermittentes d'hommes contre d'autres hommes, les flèches contre la poudre, le feu contre les hachettes, tout ce dont elle entendait parler ne rivalisait pas en horreur avec ce qu'elle avait vu depuis son enfance. Le tas d'entrailles palpitantes, encore vivantes, tendu sous les yeux du félon avant d'être jeté dans un seau puis balancé dans la Tamise; des doigts qui cherchent en tremblant un terse perdu; la chevelure d'une femme coupable de désordre illuminée par les flammes. Comparée à cela, la mort par naufrage ou par tomahawk faisait pâle figure."

Florens, Lina, Rebekka, trois femmes, trois voix, trois récits.
Le roman se termine et au fil des pages le lecteur se demande oui mais pourquoi un don, quel rapport, un don dans toute cette sauvagerie, cette horreur...?

C'est Minha mae qui clôt ce roman incantatoire :

"Après le dîner, quand l'homme de grande taille a suivi Senhor pour une promenade vers les baraques, je chantais à la pompe. Une chanson sur l'oiseau vert qui se bat et meurt quand le singe lui vole ses œufs. j'entendais leurs voix et je vous ai pris toi et ton frère pour que vous vous teniez sous leurs yeux." p 192

À lire absolument

© Gilda Gonfier - 28 décembre 2009

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